La série H des archives départementales des Côtes-d’Armor conserve les fonds d’abbayes (14), de prieurés (30) de couvents et de communautés religieuses ainsi que d’ordres religieux qui existaient avant la Révolution sur le territoire du département actuel des Côtes-d’Armor ou qui y possédaient des biens sans y avoir leur siège principal.
Il convient de noter également que c’est dans cette série, consacrée aux archives du clergé régulier, que l’on trouve les plus anciens documents conservés aux Archives départementales des Côtes-d’Armor.
Le fonds de l’abbaye de Beauport comprend 52 articles (dont 2 registres) cotés respectivement de H 36 à H 87. Cet ensemble documentaire représente à lui tout seul un très beau « gisement d’archives » qui couvre la période 1198-1790, et occupe près de dix mètres linéaires de rayonnages. On y trouve d’abord une série de documents qui attestent les droits et les privilèges primordiaux de l’abbaye (charte de fondation, chartes de donation, bulles pontificales, livre déal, inventaires). Une importante série regroupe 35 liasses qui nous renseignent sur la vie des paroisses administrées par les chanoines de Beauport. L’abbaye possédait en effet des paroisses dont elle touchait les dîmes, en échange du service religieux qu’elle assurait ou faisait assurer (cette mission pastorale différenciait les Prémontrés des autres ordres implantés en Bretagne).
Enfin, un dernier ensemble évoque la vie quotidienne des chanoines, les travaux aux édifices, les comptes et les rentiers. Soulignons ici le caractère exceptionnel de cet ensemble, car il est très rare que les archives des abbayes prémontrées installées en France aient été conservées de manière aussi conséquente. Ce fonds unique et d’une très grande richesse permet de mesurer, au regard de l’étendue de la seigneurie ecclésiastique de l’abbaye prémontrée, aussi bien son influence spirituelle que son rôle économique. De plus, il rend possible de compléter et de préciser bien des points de l’histoire de l’abbaye. ll a fait l’objet d’un classement et de la rédaction d’un instrument de recherche.
Le fonds 1 Q des archives départementales concerne la séquestre, l’administration et les contentieux des biens nationaux de première origine ; notamment du 1 Q 101 au 1 Q 179 pour les établissements religieux, dont Beauport : 1 Q 154-155-156.
La fondation de l’abbaye de Beauport s’inscrit à la fin de la vague de renouveau monastique des XIe et XIIe siècles. Vers 1170-1180 le comte Henri, apparenté à la famille ducale, fonde une abbaye dans l’île de Saint-Rion en baie de Paimpol; cette dernière est confiée à des chanoines suivant la règle de l’abbaye de Saint-Victor de Paris.
En 1198 le pape Innocent III confirme l’abbaye de Saint-Rion dans ses droits et possessions situés dans le Goëlo, dans les diocèses de Saint-Brieuc, Dol et Tréguier, ainsi qu’en Angleterre dans le diocèse de Lincoln.
En 1202 le comte Alain de Goëlo transfert les biens de Saint-Riom dans une nouvelle fondation, l’abbaye de Beauport, mieux placée pour desservir les paroisses. Ce sont des chanoines prémontrés venus de l’abbaye de La Lucerne en Normandie qui s’y établissent. Les circonstances de cette refondation sont très difficiles à apprécier. Les rapports de forces et les conflits politico-religieux ont certainement joué un rôle (dans le cadre de la fin des prétentions archiépiscopales de Dol en 1199).
Contrairement aux abbayes cisterciennes, la nouvelle abbaye renoue avec les installations côtières et insulaires du début du monachisme celtique. De plus sa situation particulière en interface terrestre et maritime lui permet de prospérer en bénéficiant d’un environnement complexe et diversifié. Beauport hérite des possessions de Saint-Riom ; mais elle est plus richement dotée par ses fondateurs rejoints par de nombreux donateurs, aux biens (terres, bois, pêcheries, granges, moulins) s’ajoutent des privilèges (droits de mesurage sur les grains, foires de Paimpol, dîmes, etc.) complétés par des exemptions.
L’essor médiéval
Du XIIIe au XVe siècles, l’abbaye se développe rapidement : les chanoines de Beauport jouissent d’une grande influence car ils relèvent directement de l’autorité du pape et non de celle des évêques. Ils possèdent depuis 1239 le droit de haute et de basse justices sur leurs vassaux. Dès le XIIIe siècle les chanoines instaurent un système de prêts bancaires, pratiquant des taux modérés, dont le succès contribue à l’enrichissement de la communauté. L’abbé de Beauport obtient en 1456 le droit de porter la crosse et la mitre. Sur le plan économique, l’abbaye devient une importante seigneurie qui marque son empreinte sur le paysage (construction de digues et talus, aménagements hydrauliques, exploitation du sel). Afin de faciliter la gestion territoriale de leur patrimoine, les Prémontrés partagent leur juridiction en deux zones fiscales nommées bailliages : au nord celui de Beauport, au sud celui du prieuré des Fontaines (près de Châtelaudren).
Beauport participe même au début de la grande pêche lointaine (Terre-Neuve, Islande) comme en témoigne l’acte signé le 14 décembre 1514 entre l’abbaye et les habitants de l’île de Bréhat.
La commende
En 1516 le concordat de Bologne conclu entre le roi de France François 1er et le pape Léon X instaure le système de la commende : au lieu d’être élus par les membres de leur communauté, les abbés sont désormais désignés par le Roi. Les Prémontrés s’opposèrent longtemps à cette mesure, qui ne devint effective à Beauport qu’à partir de 1539.
Divers actes constatent les dégâts subis par l’abbaye pendant les guerres de la Ligue ; l’état major des anglais, alliés des « royaux », s’installa même un temps à Beauport.
La situation s’aggrave tant au début du XVIIe siècle que l’abbé de la Lucerne est chargé de réformer Beauport en 1606. Les chanoines refusent la réforme et c’est seulement le 1er mars 1630 que les anciens religieux consentent à accepter le changement à condition qu’ils en soient exemptés eux-mêmes. Mais le délabrement se poursuit encore car il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour que des mesures énergiques soient décidées.
Le « grand siècle ›› de Beauport (1654-1763)
Sous l’impulsion de prieurs énergiques (Vincent Royer, Louis Le Guével, Julien Duhal et Balthazar Féger), une restauration de la règle et des bâtiments est entreprise pendant la seconde moitié du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les bâtiments sont restaurés et agrandis : élévation de tous les bâtiments, transformation de l’église selon le goût baroque, édification d’un clocher, jardins ornementaux, aménagement de logements pour les hôtes, d’une bibliothèque, d’une infirmerie, etc.
Beauport acquiert un rayonnement spirituel et intellectuel. En 1686, l’abbaye se dote d’un tiers ordre : «la confrérie du scapulaire blanc ››. Des cours de philosophie et de théologie y sont dispensés des 1698. Cette période de redressement s’achève avec le priorat de Balthazar Féger (1740-17ó3) qui entreprend les derniers grands travaux dans le domaine proche de Beauport (reboisement, asséchement de l’étang salé) ainsi que la rédaction du livre déal de l’abbaye de Beauport(registres H36 et H 37 aux archives départementales). Dans la nomenclature des abbayes de France dressée en 1768, Beauport compte vingt-cinq chanoines : 19 résident à l’abbaye et 13 desservent les paroisses comme curés-prieurs.
Le déclin
Après 1763, Beauport, comme la plupart des établissements réguliers, décline 1 : l’entretien des bâtiments et des digues, les conflits incessants avec les commendataires, la multiplication des procès, l’effondrement des vocations, entraînent de grandes difficultés. Cependant l’abbaye arrive à maintenir son noviciat jusqu’à la Révolution. Quand cette dernière arrive, l’abbaye est en pleine anarchie : le dernier abbé commendataire (par ailleurs aumônier de Louis XVI), Alphonse de Pontevès, exige une pension de 19000 livres. La vie quotidienne à l’abbaye devient difficile tandis que certains prieurs-recteurs se révoltent contre leur hiérarchie.
La Révolution
Les décrets de février-mars 1790 instaurant la sécularisation et la mise en vente des biens du clergé mettent un point final â la destruction des ordres réguliers entreprise des le règne de Louis XV par la «commission des réguliers ›› qui préfigurait à partir de 1760 les décisions prises par l’assemblée constituante.
En 1790, l’abbaye est mise en vente comme bien national. Après une expertise, elle est évaluée à 43020 livres.
En 1792, le négociant armateur paimpolais Louis Morand se porte acquéreur mais fait différer la vente afin d’obtenir une expertise plus favorable. Il faut attendre le 90 juillet 1796 pour que le domaine de Beauport soit acheté par 3 propriétaires ; Louis Morand et Pierre Sérel-Desforges de Paimpol et Charles Le Brigant de Pontrieux, pour le prix de 54736 livres 10 sols. Le domaine est partagé en trois lots par tirage au sort et restera privé jusqu’en 1999.
Le XIXe siècle
En 1820, Félicité de Lamennais, séduit par la ruine romantique, songe à acquérir Beauport afin d’y installer une académie de savants et d’écrivains; mais ce projet n’aboutit pas.
En 1835, Prosper Mérimée, inspecteur des monuments historiques, visite l’abbaye et transmet un rapport détaillé au ministre Guizot en vue du classement du monument qui intervient en… 1869.
En 1838 la municipalité de Kérity, dont dépend Beauport depuis 1831, achète les bâtiments de l’aile orientale afin d’y installer la mairie et les écoles.
En 1845, le comte polonais Poninski, gendre de Louis Morand, devient propriétaire de l’autre partie du domaine. En 1890, la municipalité de Kérity qui a quitté Beauport, vend sa part à Joseph Bonnaterre, héritiers des Poninski. Désormais l’ensemble des bâtiments appartient à une même famille : Bonnaterre puis Gomond.
La renaissance (XXe et XXIe siècles)
Le domaine de Beauport resta privé jusqu’en 1992, date de son rachat par le Conservatoire du littoral. La fin du XXe siècle fut marquée par d’importants travaux de restauration tout en évitant la reconstruction. Des fouilles programmées furent réalisées entre 1997 et 2003, et une politique culturelle fut mise en place. Le site de Beauport représente aujourd’hui 136 ha de rivages et de bois qui forment un écrin autour de l’abbaye, définitivement protégée.
Annie-Claude BALLINI
présidente de l’Association des Amis de Beauport
Excursion de la Saint-Norbert 2019 en car grand tourisme :
« Escapade en pays d’Argoat » dimanche 23 juin
Avaugour, Saint-Fiacre, Saint-Pever, Magoar,
repas bio chez Coriandre à Trémargat,
Lanrivain, musée du manoir breton à Bodilio
sur réservation, tarif de 38 € par personne tout compris (transport, repas avec boisson, entré au musée)
Inscriptions ouvertes auprès de l’association.
Liens vers les descriptifs des excursions des années récentes :
Excursion du 28 juin 2014 : « La diagonale des abbayes bretonnes »
Ste-Croix de Guingamp, ND de Langonnet, Ste-Croix de Quimperlé, St-Maurice à Clohars-Carnoët
Cet ouvrage est d’une nature résolument originale. Aux récits récoltés par les cueilleurs de légendes répond la technique de « mémoire de papier » de l’artiste Anne-Marie Ollivier-Henry. Alchimie subtile et improbable ! D’un côté la matière volatile d’une littérature orale dispersée dans les mémoires, de l’autre la singularité d’une œuvre picturale inspirée par le légendaire de l’abbaye.
Parmi les cueilleurs de légendes il y a certes les plus grands tels Luzel ou Sébillot, mais notre objectif était de mettre en lumière des collecteurs inconnus tels que Pierre Bernard, qui pendant quatre décennies usa sa plume dans le flamboyant hebdomadaire républicain de la cité des islandais : le Journal de Paimpol. Et puis il y a les modernes épigones de Luzel et Sébillot, ceux qui aujourd’hui encore continuent à glaner les traditions orales sur les chemins du Trégor et du Goëlo, à noter la parole oubliée sur la toile cirée des tables de cuisine auprès d’informatrices et d’informateurs qui détiennent quelques bribes de la mémoire ancienne ; ceux-là se reconnaîtront.
Les récits présentés mettent en scène uniquement la « matière de Beauport » : les chanoines prémontrés devenus des moines dans la tradition populaire, et des légendes recueillies autour de l’abbaye dans les paroisses qui dépendaient autrefois de sa juridiction. Nous avons fait le choix d’écarter les récits mettant en scène les moines récollets de l’Île Verte, souvent confondus avec les religieux de Beauport et les cénobites de Saint-Rion, ainsi que ceux des saints traditionnels locaux (Maudez), à l’exception de saint Yves dont la légende dorée est bien vivante dans le Goëlo, particulièrement autour de Beauport.
À la fin de l’ouvrage vous trouverez une notice se rapportant à chacun des textes ainsi qu’une présentation des « cueilleurs de légendes ».
Cet ouvrage collectif coordonné par Annie-Claude Ballini propose au lecteur une visite du domaine de Beauport à travers la photographie. Dès le XIXe siècle l’abbaye attira de nombreux photographes : pionniers de ce procédé nouveau, éditeurs de cartes postales, touristes en quête de pittoresque, locataires de ces lieux magiques où ils habitaient quelques mois ou pendant l’année. Tous ces clichés, aujourd’hui dispersés, ont été sélectionnés et rassemblés par les Amis de Beauport et permettent de mesurer le travail accompli par tous les acteurs de la « renaissance » de l’abbaye. Gageons que ce petit livre fera découvrir aux amoureux de Beauport quelques secrets encore bien cachés. Les auteurs : Annie-Claude Ballini, Françoise Lépinette, Yvon Ollivier-Henry, Claude Roy, Jean-Jacques Varlez, Henri Volf, Yves Ballini.